(Lluis Llac - L'Estaca, Barcelona 1985)
Une "affaire" parmi tant d'autres... Une de plus dans la longue anthologie de l'ignoble et de l'inhumain; et celle-ci ne devrait pas me toucher plus que d'autres, puisque je me suis persuadé que j'étais suffisamment blindé pour n'avoir pas à pouvoir tout supporter sans rien ressentir. Pourtant j'ai voulu lui dédier une lettre qu'elle n'écrira jamais. Qu'elle aurait pu écrire, mais qu'elle n'écrira pas. Qu'elle lira, peut-être, là où elle se trouve.. et elle y est sûrement mieux que sous une dalle de béton. Repose en paix, petite fille.
... Oh, zut, ma poupée !J’espère qu’elle a pas trop froid, j’ai oublié de lui donner à manger avant de partir. Je me demande si elle va se faire gronder elle aussi.. Non non, moi quand je serai grande je gronderai jamais mes enfants, ça fait trop mal. Mais je veux pas qu’elle ait peur, ma poupée. Elle aura pas peur, jamais, ben non, c’est moi sa maman. En fait maintenant faut juste que je trouve son papa. Mais je le vois pas ici, il fait si noir qu’on dirait la fois où j’avais fait pipi sur le soleil et que ça l’avait éteint, quand mon papa il m’avait montré les bonnes manières mais c’étaient jamais les mêmes, alors moi j’ai jamais su qui c’était, et puis j’ai mal à la tête, ma poupée me manque, je veux ma maman, je veux ma maman, zut faut pas que j’aie peur. Et ces messieurs qui arrêtent pas de prendre des photos de mon papa.
Moi j’en ai assez des photos, je suis fatiguée, je crois que je vais vomir.. .Mais non, t’es folle ! Tu vas encore te faire gronder ! Mes frères et sœurs souvent ils me disaient ça, et là j’ai pas envie de me faire gronder. Et oui je suis folle, même les journaux ils le savent. Je suis folle du soleil, c'est grave ça Monsieur ? Tu vas pas me gronder pour ça, hein dis ? Mais je vais pas me faire gronder, non non. Faut juste pas que j’aie peur, ça je sais, mais là tout de suite j’ai trop froid, je comprends pas pourquoi, c’est l’été encore, y avait du soleil ce matin quand mon papa il m’a emmenée visiter son travail. Et moi, j’adore trop ça, le soleil. Ma maîtresse à l’école elle dit que le soleil c'est lui qui a donné la vie sur la planète. Et que c’est le soleil aussi qui a donné l’avis sur tout, partout dans lune hiver, moi j’adorais quand elle nous parlait de tout ça, j’ai hâte de retourner en classe pour ça, moi j’aime pas beaucoup le calcul et puis le français et aussi les fois où mon papa il fait de l’algèbre sur mes fesses avec le martinet. Mais j’ai eu une bonne note en conjugaison, alors pourquoi que mon papa il conjugue toujours le verbe gronder au présent de l’indicatif ? Moi je préfèrerais le conditionnel, ou alors l’imparfait. Ah non, le passé ! C’est bien, ça, le passé composé, non ? Mais mon papa il aime pas le passé, il dit qu’il faut assurer l’avenir de ses enfants, d’ailleurs je l’entends toujours dire que je manque d’assurance, que les autres ils assurent et que moi j’ai besoin d’une bonne correction pour plus avoir peur. J’ai plus peur depuis longtemps tu sais, papa, zut il pleut dehors, j’entends les gouttes, mais pourquoi tu m’as emmenée ici, dis, c’est maman qui va venir me chercher, hein dis ? Papa steplê j’ai froid et j’ai chaud en même temps, je peux rallumer la lumière, dis ? Tu dis à maman de ramener ma poupée quand elle passera me chercher, hein papa, tu lui diras, papa s’il te plaît papa ? Papa j’ai mal, j’crois que je vais encore faire pipi, papa pardonne-moi mais j’ai trop mal, je sais même plus comment je dois pleurer, papa arrête tu me fais mal, papa je t’aime, papa…
... Faut que je pense au soleil. Ma maîtresse elle m’a montré le soleil, plus qu’une fois. Elle est gentille, ma maîtresse. Elle pleure jamais, je sais pas pourquoi. Mais elle aime voir le soleil. Moi aussi. J’aime trop ça, le soleil. L’été j’aime bien, parce que c’est là qu’il tape le plus. Mais il a jamais tapé aussi fort que mon papa. Que j’aime et qui n’a plus de maison maintenant. Moi ma maison un jour, ce sera le soleil. On parie qu’il y fait moins froid qu’ici ? Je sais pas en fait.. Je suis fatiguée, et puis j’me sens pas bien… D’ailleurs j’ai plus d’encre pour vous écrire, je dois partir je pense, maman elle est pas venue me chercher, j’ai pas ma poupée avec moi, j’crois que je préfèrerais encore me faire gronder par mon papa que rester là. Papa viens me frapper, j’ai moins mal qu’ici. Et puis promis, je pisserai plus sur le soleil. Parce que lui, il frappera jamais aussi fort que toi, et moi je t’aime, j’aime le soleil, et toi, dis mon papa, t’aimes le soleil toi papa ?
Hein c'est vrai que tu m'aimes tout fort ? Comme le soleil, hein papa ? Pleure pas, papa, je le ferai briller encore plus fort pour toi. Mais...Pourquoi que tu vas à l’ombre ?
Le Soleil il fait de l'ombre à mon Papa...
Mon papa maintenant il est à l'ombre, ils l'ont dit dans les journaux.
Et moi j'ai un doute sur qui des deux tapait plus fort, en fait..
Non, y a vraiment"plus l'ombre d'un doute" (comme elle disait la dame avec des lunettes bizarres à l'accueil l'autre jour) : mon papa il m'aimera toujours. Même s'il durera moins longtemps que le soleil. Le soleil lui il est éternel (chic, encore un mot tout drôle) comme ma poupée et comme la mort et comme ma photo et comme..
C'est fou comme je me ressemble comme mon ombre, hein le soleil ? Et moi je ne suis plus que l'ombre de lui m'aime encore, hein Papa ?
Je vous aime tous.
Mais là je dois aller aimer le soleil.
M@rin@
*_* Lol Bisous xxx =(^x^)=
(En mémoire de Marina X., 2001-2009.)
Et de tous ces enfants perdus.
Toutes ces âmes effacées.
Et de... kissa la tap' Yoyo ?!?